Avec un synopsis officiel à ce point sibyllin, "Mercuriales" nous a intrigués. Nous l'avons vu, on est resté jusqu'au bout ( contrairement à la moitié de la - certes petite - salle du Palais des Congrès de Namur ), fascinés par cette première œuvre déroutante. On a bien fait.
"Mercuriales" n'aurait pu mieux tomber, à un moment où l'on se languissait d'un hypothétique coup de fouet dans un festival où les films inconsistants et calibrés pour le public namurois commençaient dangereusement à s'amonceler. Il aura tout de même fallu attendre l'avant-dernier jour, et qui plus est dans une salle peu remplie, pour voir un film conquérant et inventif, en inadéquation avec presque tout ce à quoi on avait pu assister précédemment. Le premier long-métrage de Virgil Vernier ( également acteur, notamment dans le salué "La Bataille de Solférino" de Justine Triet, sorti l'an dernier ) se veut dénué de fil rouge narratif ; c'est tant mieux, il s'ôte ainsi toute prétention, toute velléité de prix, celles-là même dont étaient affublés bon nombres de films présentés à Namur pour cette vingt-neuvième édition. Il n'en demeure pourtant pas moins ambitieux et surtout pas raté, méritoirement couronné du Prix Découverte par le Jury Cantillon et de critiques presse positives lors de sa présentation à l'ACID au dernier Festival de Cannes.
Volontiers décrit comme un patchwork par son auteur lui-même, "Mercuriales" n'est rien de moins. En revanche, il s'agit ici d'un patchwork amélioré, serti d'images qui squattent la rétine durablement, de fulgurances spectrales qui le parachèvent puis viennent transcender son statut pour l'élever au rang de cartographie d'une époque, d'une jeunesse, d'un environnement - la banlieue parisienne, cernée par le "périph". On y cohabite harmonieusement en "Cosmopolitanie", Blancs, Noirs, Jaunes et Beurs, où mieux encore, ce sont précisément les allochtones d'origines ou bien les résidents d'autre confession religieuse qui semblent régir ce petit monde à part entière, dispenser de précieux conseils de vie au reste des membres de la communauté, en présences bienveillantes et inquiètes, Tours Mercuriales de leur quartier, davantage Tour Levant sur la forme et Tour Ponant pour le fond.
Les deux tours, là où tout commence ; où Lisa et Joane se rencontrent. Deux jeunes filles en quête d'une liberté qu'elles possèdent déjà, au quotidien oisif. Cherchent-elles vraiment quelque chose ? Sans doute pas. Cela, finalement, nous importe peu. Ce couple réuni en permanence nous offre une déambulation diurne et nocturne, courtement vêtue, entrecoupée d'apparitions de nouveaux personnages que l'on reverra plus tard ou pas, intervenants souvent réduits à une fonction de pacotille, satellitaire, simplement mis au service du récit et eux aussi purement assignés à un rôle d'intervention insignifiante, d'apparition : les fantômes d'un territoire précis, et plus largement d'une vie, suffisamment pourvoyeuse à elle seule d'heureux ou malheureux évènements, de points d'accroche affectifs et de puissantes visions que pour encore se construire à l'intérieur de soi une superfétatoire "rencontrothèque", quand une telle profusion nous conduit irrémédiablement à faire des choix. Seuls quelques moments sont là afin de marquer intensément celui qui regarde, l'imprégner de cet esprit du monde tantôt ambivalent, sombre, scabreux et belliqueux ( "la nuit moldave", la scène de la sodomie pratiquée dans les règles de l'art dans ce club interlope, les virées vengeresses menées nuitamment par Lisa... ) tantôt clair, limpide, beau et lumineux ( la relation Joane-Lisa, bien qu'elle comporte également sa part d’ambiguïté, par exemple lorsque les filles prennent leur bain ensemble, la vitalité de la petite Nadia, la poésie prosaïque qui s'échappe de cet environnement de bitume... ).
Mais si "les" Mercuriales sont dotées de la faculté de rapprocher les cœurs, elle ont en outre le pouvoir de les séparer. Lisa quitte Joane, sans que l'on sache pourquoi, retournant dans sa Moldavie natale. Là-bas aussi, on entend au loin le bruissement des hommes, moins fraternel. Partout il faut la vie. La jeunesse. Bagnolet déserté, Chisinau retrouvé. Le climax n'adviendra pas ; seule viendra la Grande Béance, libérant ses poussiéreuses volutes, enivrantes jusqu'au bout.
Antoine Van den Kerkhove
Mercuriales
France, 2014
Virgil Vernier
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