Une lutte à mort entre deux hommes dans l'habitacle d'une voiture inclinée au bord de l'eau, avec comme moyen d'en finir (au choix) un extincteur ou une ceinture de sécurité. Voilà qui est sans doute le moment le plus gênant, le plus crapuleux de "Relatos Salvajes", soit six sketches traitant tous à leur manière des plus bas instincts humains, quand l'animal qui sommeille prend le pas sur l'être de civilisation. La scène survient lors du troisième segment, le pire (le meilleur diront les autres), et fait craindre une course à la surenchère vulgaire pour la suite. Même si les salauds continuent à se succéder au sein de ce dispositif discutable, on est tout heureux que Szifron lève un peu le pied. Si l'on voit très vite où ce dernier veut en venir, on s'interroge néanmoins sur l'intégrité de son modus operandi ; c'est que le répéter à six reprises crée une effet redoutablement pervers chez qui regarde, tiraillé entre l'espoir du toujours plus loin, d'un carnavalesque qui se parerait toujours plus de malsain (Szifron "l'esthète" ne versant pas franchement dans le gracieux et le raffiné ) et un rire qu'il voudrait plus franc, mais il faudrait au moins à cette fin se débarrasser du dilemme intérieur qui le ronge - s'il rit, c'est en éprouvant tout sauf de la fierté. Comment pourrait-il en être autrement quand le film verse à ce point par moments dans un sordide déplacé et inutile, alors qu'un peu plus de légèreté, de retenue, aurait été salutaire ? Pourquoi vouloir toujours privilégier une logique d'outrance grossière quand l'absurdité des situations seule suffit, surtout avec de tels contours pachydermiques ( peut-être est-ce voulu, au vu du générique animalier inaugural ) ? Les deux parties les plus sobres (le premier et le cinquième segment) étant les plus réussies et les plus drôles, il y a là quelque chose d'incompréhensible.
Un autre élément interpellant est que Szifron excuse un peu vite la poignée d'ordures qu'il nous présente en réussissant presque l'exploit de les faire passer pour de braves gens honnêtes et vertueux, tant l'environnement dans lequel ils évoluent ressemble à tous les coups à une épaisse bulle saturée par l'atonie et la résignation, attendant une vendetta vengeresse rondement menée par un hypothétique preux chevalier. Car chez le réalisateur argentin, les justes ne se révoltent pas contre la corruption, l'honneur bafoué ou les humiliations à coups de tergiversations ou de pompières circonvolutions : ils vont droit au but et terrible est leur vengeance, puisqu'il n'y a que ça de vrai. Et l'on en vient à penser que Szifron lui-même s'est laissé contaminer par cette sauvagerie nouvelle.
Antoine Van den Kerkhove
Relatos Salvajes
Argentine, Espagne, 2015
Damián Szifron
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