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L'enfer, c'est soi-même.





Les interrogations sont grandes et l'on s'y perd parfois. C'est peut-être le propos du film, mais c'est avant tout le ressenti qui s'immisce en nous le long d'un plan-séquence — en est-ce, d'ailleurs, un ? — de plus d'une heure et demie. Car si c'est ce qui marque le plus, c'est certainement qu'il y a une raison à ce choix, cette prouesse diront certains, de mise en scène particulier. Et de fait, les discussions vont bon train au sortir de la séance, chacun y va de son interprétation quant à cette particularité, pourtant aucune de ces explications ne semble justifier un tel emmerdement technique, qui finalement ne semble qu'être le siège symptomatique d'une volonté inassouvie, minée par une ambivalence constante. 

Ambivalence tout d'abord et justement sur ce point de réalisation qui vient, en nous dupant d'une certaine manière, s'opposer à la mise à nu du théâtre dans sa vie la plus pure, dans le souffle réellement jubilatoire de ce bâtiment trop souvent mentalement sacralisé, que semble nous offrir Iñárritu. Et, paradoxalement, en sacralisant le film dont l'objet est la désacralisation notamment du jeu d'acteur, elle sert ce jeu : si, bien sûr, le plan-séquence n'est pas purement "véritable", il assène néanmoins sensiblement aux acteurs de ce Birdman une vibrante énergie, hystérique parfois, qu'on ne saurait nier mais, hélas, jamais assez que pour nous faire vraiment ressentir quelque chose. 
La seconde contradiction vient de ce que ce monde, une fois désacralisé, semble finalement si dérisoire, si porté sur lui même, fermé mais en fait proche de la bassesse de tous les autres domaines puisqu'il perd justement son vernis extérieur. On y entre dans ce théâtre, la satire — si tant est qu'elle fasse partie des intentions du film — est fine et acide, mais les fenêtres y sont fermées et à force de vouloir rendre plus humain ce "monde d'en haut", le réalisateur s'y enferme et ne voit pas que lui même se referme sur son sujet, en le glorifiant. 

Ceci dit, ces petits "soucis" n'enlèvent rien à la véritable réflexion que veut amener le film, toujours en contradiction mais, cette fois, dans une visée plus constructive : l'être opposé au paraitre. Il y a, au long du métrage, comme une contagion progressive de la personne à l'endroit du personnage : tout commence avec cette opposition entre un Riggan Thomson qui joue son rôle et un Mike Shiner — d'ailleurs d'emblée présenté comme un génie de l'interprétation — qui vit son rôle, qui fait de son personnage son être. Mais petit à petit, au fil des confrontations que vit l'homme Thomson, le personnage (dans la pièce) va grandir, s'accoutumer à son interprète et les deux personnalités vont finalement se confondre lors d'une première clôturée par le suicide aussi bien joué que vécu (bien que manqué) de l'homme-personnage que l'on suit. Cela peut ressembler à une réflexion comme fin en soi, très, encore une fois, fermée sur elle-même, mais elle nous porte en fait bien plus loin : qu'est ce donc que l'art s'il ne s'agit plus de faire semblant ? La vie n'est-elle qu'un théâtre, comme le dit Shakespeare ?     

Une autre portée, importante elle aussi, mais certainement amenée de manière moins délicate (le monologue d'Emma Stone est plutôt explicite) est celle du questionnement de soi, de la peur de se retrouver, de cette incapacité à oublier notre finitude. Dès lors, on s'occupe, on se divertit aurait dit Pascal. Et c'est logiquement dans la quintessence de ce divertissement face à l'angoisse d'être, l'entertainment, que se glisse notre héros pour s'oublier. Hélas pour lui, cela marche trop bien et il se mure dans ce qu'il pense être le vrai alors qu'il n'est que dans un ersatz de réflexion, un ersatz d'être. D'ailleurs ce "divertissement" semble se retrouver bizarement — certainement involontairement — dans la forme. Le film, en effet, en voulant réfléchir et faire réfléchir s'oublie, oublie ce qu'il est lui même et cause, du début à la fin, comme un désagréable sentiment de contradiction. 



Timothée Pichot



Birdman
États-Unis, 2015
Alejandro González Iñárritu


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