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Sommeil (d'hiver)



 


Alors que l'issue de "Winter Sleep" est proche, l'un des personnages, passablement éméché, prononce cette phrase sentencieuse : "Est-ce la vie ou une mauvaise pièce ?" Ni l'un ni l'autre, juste un mauvais film, un long cauchemar blanc se déroulant dans cet hôtel d'Anatolie. La pesante vanité qui se dégage de l'ensemble est tout bonnement ahurissante, et insupportable. Jamais le temps au cinéma n'aura passé aussi lentement que pendant cette vaste et complaisante entreprise de pure destruction. Ne nous leurrons pas : malgré la virtuosité formelle de l'ensemble, la chenillette de Ceylan broie tout sur son passage. Elle ne pourrait fonctionner sans son autosatisfaction destructrice, son moteur, dispersant allègrement au cours de ces trois heures épuisantes ses infinies scènes de palabres vaguement surfaites, profondément alambiquées. Pire, non content de leur caractère irritant, Ceylan pousse le masochisme jusqu'à irriguer son film d'humiliations continues, flot ininterrompu. Humiliations d'autant plus scandaleuses qu'on les sent poindre d'avance, et pourtant une fois celles-ci matérialisées, craintes comme des monstres des neiges, on ne peut s'empêcher de baisser la tête, choqué par tant de petitesse, par tant de choix scénaristiques honteux, par tant de perversité déplacée ( un petit garçon que l'on gifle, un homme qui se vautre dans les règles de l'art, une liasse de billets partant littéralement en fumée... ) . Telle est la dynamique de "Winter Sleep" : affecter toujours plus, tout en brassant de l'air ( autre expression reprise dans le film ) par le biais de ces interminables tirades pseudo-bergmaniennes exhalant un rance parfum de supériorité, et ce sous couvert d'une subtile radiographie des profondeurs de l'âme humaine. Ceci est un petit film qui se voudrait grand, qui se croirait beau quand il n'est que laideur et abjection, semblable au cortège gris de monstres qu'abrite l’Hôtel Othello. En la personne d'Aydin, Ceylan a trouvé son alter ego ; là où tous deux pensent régner en maître sur leur royaume étriqué, ils ne sont en fait regardés que comme des salauds, mais trop aveuglés par leur prestige inexistant, ils ne s'en rendent pas compte, enfermés dans leurs certitudes. D'où un film dégueulasse. Une Palme volée. Qui contient, certes, beaucoup de belles images, d'une froide beauté. C'est (très) peu.

Antoine Van den Kerkhove.


Winter Sleep
Turquie, 2014
Nuri B. Ceylan

Commentaires

  1. Tous les goûts sont dans la nature mais on devrait déduire de cette critique que le Jury de Cannes 2014 sortait tout droit d'un asile...

    Monsieur, quel incroyable aveuglement !

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  2. Madame/Monsieur,

    Bonjour. Tout d'abord merci de nous avoir lus, et d'avoir posté ce premier commentaire. Ensuite, je pense opportun de vous répondre, au nom de mes confrères, afin de préciser plusieurs choses quant à notre point de vue sur le film qui nous occupe : Winter Sleep.
    Sachez qu'il ne s'agit nullement d'aveuglement. Nous n'avons pas aimé le film, et nous tenons à le faire savoir lorsque tel est le cas. Je reconnais, en tant qu'auteur de la critique, que celle-ci est excessive. Rédigée dans l'urgence et quasiment au sortir de la projection, elle ne traduit probablement pas de manière assez nuancée mon propos. C'est pourquoi je tiens, par ces lignes, à le clarifier. Vous l'aviez compris, WS ne nous a guère emballés, pour diverses raisons ;
    - C'est une œuvre clairement calibrée pour la compétition cannoise. Ceylan visait la récompense suprême : il a gagné. Une victoire sans péril, puisqu'il ne fait que réutiliser les marqueurs de son cinéma, méthode qui avait déjà porté ses fruits pour Uzak et Il était une Fois en Anatolie par le passé. Le film, qui se pose en accomplissement ultime du travail de son auteur, représentait une occasion parfaite pour parachever le parcours de Nuri Bilge Ceylan sur la Croisette.
    - Le film est prodigieusement bien écrit : tellement bien qu'il l'est d'ailleurs trop. En effet si l'on comprend vite les intentions du réalisateur -mettre à nu et souligner les côtés sombres du genre humain-, chaque longue scène paraît surécrite, appuyant trop son propos jusqu'à le desservir, Winter Sleep perdant dès lors une grande part de finesse. Encore une fois, on sent bien derrière tout cela une volonté de récompense manifeste, derrière les effets de manche verbeux.
    - La durée (3h16) n'arrange rien non plus, là où il y avait moyen d'arriver à un résultat identique, en moins pédant ( la durée en rajoute pour ma part sur ce point ). Elle constitue un lourd handicap, et j'ai réellement du lutter pour ne pas décrocher du film. En outre, elle souligne toujours ce souhait d'aboutir à une œuvre-fleuve et définitive de la part de son auteur.
    Pour ces diverses raisons, rejointes par celles déjà citées dans la critique, nous persistons : nous n'avons pas aimé Winter Sleep. Nous mettons un point d'honneur à évoquer tant les films que nous aimons que les films que nous aimons, disons, moins. En ce sens, il était important à nos yeux de dire honnêtement, avec un peu d'exagération certes, ce que nous pensions de cette Palme 2014. Prix que nous trouvons peut-être un peu usurpé : de par son aspect clivant, WS aurait sans doute gagné à recevoir le Grand Prix plutôt que la récompense suprême, dans la mesure évidente où le Jury désirait le saluer, car nous pensons aussi à Pours Cinéphilie que la Palme se doit de consacrer des oeuvres davantage grand public et fédératrices, autrement ambitieuses et porteuses d'un Souffle cinématographique inédit, ce dont était dépourvu, selon nous et notre humble avis, le film dont nous débattons présentement.
    En clôture de ces lignes, je ne peux que vous remercier d'avoir nourri le débat, et espérer avoir fait montre de clarté dans l'argumentation. Merci encore d'avoir visité Pours Cinéphilie, cordialement et cinéphilement,
    Antoine Van den Kerkhove

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