Un générique, des formes, des couleurs et du foutage de gueule qui se profile au loin. Je criais déjà au "2001" du pauvre, à une redite sous morphine de "Only God Forgives" dont la beauté formelle — certes très agréable —s'annulerait sous le poids de la vanité. Il fait peur ce début qui perd le spectateur aussi bien visuellement (décor irréel et inconnu) que mentalement (où veut-il en venir ?!) alors que, comme un naufragé, rattaché au pitch (un extraterrestre humanoïde séduit des hommes pour leur voler leur apparence et permettre une invasion ...) que l'on essaye de retrouver, on se surprend à formaliser une chose pour la contredire l'instant suivant.
Après nous avoir bien perdu, la beauté formelle s'estompe peu à peu (mais sans jamais disparaître, renaissant par intermittence) pour laisser place au véritable corps du film. Une histoire de con qui n'a pour intérêt que de justifier la condition de départ de son héros : on se rend vite compte, sans jamais explicitement découvrir sa nature profonde, que ce personnage est l'Étranger de Camus, le premier vrai Meursault du cinéma, cet être antipathique, direct et sincère. Et à ce stade, nous sommes toujours perdus, à l'instar du personnage dans notre monde. Vient, à ce moment, le véritable, mais néanmoins futile puisque parti du pitch insensé de l’œuvre, moteur du film : l'acte répété, cette séduction sans état d'âme, et enfin la disparition des notions de bien et de mal. Le film devient « jouissivement » amoral.
En effet, cette femme n'est jamais victime des hommes comme on pourrait le penser lors de ces scènes sortie d'une autre dimension où les supposés prédateurs, noyés dans un liquide amniotique qu'une analyse simpliste montrerais comme une castration du macho ne pensant qu'à se taper une jeune femme perdue, seraient puni de leurs actes. Non, c'est tout le contraire : l'extinction de leur existence n'est motivée que par le but de l'extraterrestre, sans interférence extérieur, sans justification lâche. Nous voyons le salaud sartrien dans sa plus pure essence, un surhomme qui n'est même pas humain et nous montrant ainsi l'incapacité de l'Homme à atteindre cette perfection.
Hélas — me dis-je lors de la scène charnière — toute bonne chose a une fin car voilà que Glazer nous plonge, non plus dans ce liquide éburnéen mais dans ce que je pensais être un océan de bienséance mal placée. Il n'en était heureusement rien. Ou plutôt, dans une espèce de bien-pensance insinuée avec une maestria sans pareille qui a été jusqu'à me persuader plus qu'elle ne m'a convaincu. Et lorsque Johansson, le rouge aux joues et les dents aux lèvres, séduit, comme une pucelle effarouchant son premier amant, cette victime déformée, cet elephant man moderne qui n'a jamais connu l'emportement des amours charnelles, l'on se retrouve irrémédiablement rappelé à ses émois adolescents, comme assailli par une jeune fille dont notre cœur ne sait que faire. La cérébralité du début du métrage fait place au viscéral, au sentiment, à un pathos convaincant : on tombe amoureux de la belle dans une anxiété due à l'empathie retrouvée pour cet être sans visage, empathie partagée par notre prédatrice venue d'un autre monde.
Puis, un rayon de lumière qui nous éblouit comme après une première nuit d'amour et le film, finalement, ne se réfléchit plus mais se vit jusqu'à sa fin, au cours l'humanisation de cet extraterrestre et de la nôtre dans son périple à travers l'Écosse magnifiquement filmée.
Plus schématiquement, c'est un triptyque qui nous fait face, un miroirs pour notre humanité qui nous oblige à la regardé en face mais qui nous rassure en s'équilibrant parfaitement : 3 tableaux représentant tout être de pensée (égarement, réflexion et sentiment) qui se succèdent plus ou moins brutalement et qui en profite pour tacler un existentialisme trop convenu (un être qui s'humanise parce que c'est ce qu'on attend de lui ... mais cette humanisation nous fait quand même du bien).
Métaphysique par moment mais surtout viscéral, ce film est une œuvre si pas incontournable, au moins inoubliable et hautement intelligente dans sa réponse de la forme au fond et dans son implication du spectateur, véritable compagnon sur le cheminement de l'humanisation de ce personnage central sans nom, représentant chacun de nous.
Timothée Pichot.
Under the Skin
Angleterre, États-Unis, Suisse, 2014
Jonathan Glazer
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