La sortie d'un nouvel opus de Mission : Impossible est toujours une (bonne) occasion de revoir les précédents. Les quelques années qui séparent deux épisodes ont ce bienfait de nous laisser empreints d'une certaine amnésie que volontiers nous nous hâtons de soigner. Voici donc venu le temps, pour la sortie du cinquième du nom, de faire un petit récapitulatif des 19 dernières années de la vie d'Ethan Hunt en quelques lignes.
L'incroyable épopée débute en 1966, à la création d'un nouvelle série du nom énigmatique de « Mission : Impossible ». Elle met en scène un agent d'une organisation spéciale de l'état, la IMF, chargée de mener à bien des opérations plus invraisemblables les unes que les autres : Jim Phelps. En plein contexte de Guerre Froide, il choisit alors son équipe de cadors, de spécialistes en tous genres et toutes disciplines pour relever au mieux des défis impossibles. C'est dans la première demi-heure du premier film que la transition se fait entre Phelps (Jon Voight) et Ethan Hunt (Tom Cruise) qui devient le personnage principal sur qui repose le lourd poids de ce succès planétaire.
Ce premier film sorti en 1996 est un compromis entre deux parties. D'une part Brian De Palma va pouvoir relancer se carrière, entachée par son précédent film qui fut un échec,l'Impasse, avec un projet dont le potentiel est incontestable, grand public et donc grand budget, dans lequel lui est promis une liberté totale. D'autre part, Tom Cruise, alors déjà producteur, s'adjoint les services d'un réalisateur de renom, assurant d'ores et déjà la réussite de l'entreprise, et avec qui il a déjà travaillé. De ce duo naîtra d'abord un bijou du genre, grand public mais élitiste (au bon sens du terme) et surtout une scène culte entrée dans la conscience collective : Cruise suspendu dans une pièce ultra sécurisée et dans le silence le plus total, retenu par un Jean Reno au bord de la rupture, rattrapant in extremis une gouttelette de sueur inopportune.
Un film donc qui, comme ceux qui le suivront, regorge d'idées des plus tordues. C'est une première force de la franchise. Sous l'inspiration d'un acteur principal prêt à tout, les scénaristes, souvent les réalisateurs (c'est le cas pour De Palma, J.J. Abrams et Christopher McQuarrie), n'ont cessé d'alimenter le concept de départ (des missions impossibles, simple), ce qui mena, s'agissant de blockbusters, à une prouesse : pas d'ennui, ce qui est (nous parlons bien de film de divertissement de masse) le minimum syndical (blague uniquement accessible à ceux qui ont vu le cinquième volet). Non seulement on peut s'attendre à 3-4 scènes cultes et à couper le souffle par épisode (souvent un film grand public en compte une sous le joug de laquelle s'articule l'intrigue), mais l'entre deux scènes n'est pas le parent pauvre. C'est là que se construit la base solide : une intrigue complexe limite loufoque (MI sont aussi des comédies). Si ce scénario est le grand atout du cinquième, c'était déjà le cas quand Brian De Palma s'en mêlait en toute liberté malgré le fait qu'il ne soit pas crédité comme tel. Certes, nulle réflexion métaphysique ne hante les lignes d'un MI (quoique ...). Bien heureusement, ce n'est pas ce que l'on demande en priorité à un film d'action. Simplement, être ébloui, surpris, étonné. C'est la moindre des choses pour les sommes faramineuses qui y sont injectées. Déjà sur ce point précis, la franchise est bien supérieure au reste de la mêlée.
L'originalité, par rapport à un James Bond par exemple, est aussi cette valse de réalisateurs qui se succèdent aux commandes. En effet, le succès phénoménal de chaque épisode n'empêche pas les producteurs de suivre cette idée sans doute préétablie. Cela leur permet encore de se détacher du lot mais également de devenir un objet cinématographique intéressant. Souvent c'est la tâche des réalisateurs de faire naître un projet, original ou pas, or ici la base est inamovible et ils viennent se greffer à cette institution en faisant de leur mieux pour y imprimer leur propre marque. C'est le seul moyen pour eux de participer à la fête du succès inévitable, sans quoi ils seraient de simples techniciens, classiques Yes-mans hollywoodiens, perdus dans le long générique sans fin. C'est en imposant chacun leur style qu'ils pourront faire pénétrer Mission : Impossible dans leur filmographie et ne pas, à l'inverse, se faire avaler par la machine. Pour le meilleur et pour le pire d'ailleurs : si Brian De Palma rendit un film virtuose et à l'ambiance particulièrement anxiogène, si Brad Bird apporta une folie burlesque caractéristique des films d'animation, John Woo, lui, ne fit malheureusement pas que du bien à l'image de la série. Sauf pour les fans de John Woo. Colombes, foulards qui s'enfuient au vent, ralentis, tout y passe, faisant de Mission : Impossible II, sans doute le volet le plus décevant de la saga. Il s'agit donc un parti pris intéressant sur deux points. D'une part, le film jouit (trois fois sur cinq au moins) de réalisateurs de qualité. C'est déjà une longueur d'avance sur les autres films du genre qui sont souvent l’œuvre de (parfois) bons mais parfaits inconnus techniciens, et sûrement pas d'artistes singuliers. D'autre part, cette singularité devient un jeu particulièrement ludique pour le spectateur averti. En effet nous avons évoqué les particularités des deux premiers réalisateurs mais il en est de même si l'on compare les troisième et quatrième. Rien que l'idée générale que l'on retient des films de J.J. Abrams et de Brad Bird est très différente. Tandis qui l'on a en tête un MI3 tourné majoritairement de nuit - comme Super 8 - à l'ambiance un peu enfumée, mystique - à l'image de Lost - et empli de technologies novatrices - comme un Fringe ou même Star Trek , MI4 laisse plutôt une idée de cartoon – notamment la scène dans les couloirs du Kremlin, aux teintes lumineuses et orangées des déserts émiratis. Tout ça n'est que détails mais détails amusants.
C'est donc probablement là que le cinquième décevra les puristes car si Christopher McQuarrie est sans conteste un excellent scénariste, il ne marque pas de son empreinte la réalisation de ce dernier épisode. Un faux-pas qui pourrait très vite se réparer en confiant les prochains à des confrères plus charismatiques ; on pense par exemple à un grand « entertainer » comme Quentin Tarantino. Cette franchise est donc un joyau qu'il s'agit de mettre entre des mains expertes.
Finalement la seule énigme quant à un long futur que l'on prévoirait hâtivement à Mission : Impossible reste le cas Cruise. À 53 ans il saute encore de décors en échafaudages dans un théâtre viennois, réalise une course poursuite interminable dans des ruelles marocaines et se cramponne à la carlingue d'un avion militaire en plein décollage. Un programme qui en dit long sur sa forme physique, mais demeure cette question : la franchise pourrait-elle lui survivre – en tant qu'acteur, s'entend ? La question reste en suspens car il est sans doute une des pièces principales (avec Benji Dunn alias Simon Pegg) à l'édifice sur lequel repose une autre force majeur de MI : le second degré (qui a tendance à s'exporter dans d'autres franchises, avec beaucoup moins de succès). Sans conteste, le succès du film est dû au fait qu'en offrant le programme le plus alléchant du marché en terme de cascades et autres marottes des films d'action (la concurrence est rude aujourd'hui avec le retour de Mad Max), il arrive à ne pas se prendre au sérieux. Cette auto-dérision qui touche presque à la parodie est essentielle à l’équilibre scénaristique du film, sérieusement menacé par des situations allant crescendo dans l'invraisemblance la plus absolue.
S'il est un piège dans lequel Mission : Impossible ne tombe pas non plus, c'est celui du choix de l'ennemi. Alors que l'on constate un majorité écrasante d'ennemis en rapport avec la situation géopolitique des États-Unis dans l'histoire des film de ce genre – Russie du temps de la guerre froide, Moyen-Orient depuis le 11 septembre 2001, la série elle a fait son choix d’emblée. L'opposant est toujours un traître. Qu'il s'agisse de Phelps lui-même dans le premier opus ou de ce fameux Syndicat, état dissident (rogue nation) dans le cinquième, l'ennemi est invariablement « l'un d'entre nous », notre plus fidèle compagnon, le défenseur de notre nation, celui dont on ne se méfie pas. Cela rompt avec la vocation peu camouflée du divertissement grand public américain (pensons à 24 qui a, du reste, d'autres qualités).
S'il est bien un film d'action à sauver, c'est donc sans le moindre doute celui-là.
À suivre ...
Mathias De Smet
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