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Le tout nouveau testament

Quel bonheur de retrouver, pour découvrir « le tout nouveau testament », les salles des complexes de distraction industrielle. Les couinements des paquets de chips, les discussions ininterrompues et les lumières étincelantes des téléphones jamais éteints : un délice qu'on oublie trop vite et dans lequel il est bon de se replonger de temps à autre, comme une piqûre de rappel. Jaco van Dormael revient donc dans ses contrées natales pour y faire un film belge au succès vraisemblablement notoire. Un tel public pour un réalisateur de cette réputation, c'est peu commun et pourtant prévisible. Comment parvient-il au fait rare d'être à la fois sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs et de remplir les amphithéâtres obscurs tapissés de maïs soufflé ?





Il n'y a en fait pas de secret dans ce film. Il s'agit bêtement d'un tohu-bohu des diverses astuces qui ont forgé le succès du réalisateur tel qu'on le connaît aujourd'hui. Rien de plus sûr en somme pour attirer les foules et se couvrir de la sanctification aveugle de journalistes parfois chauvins sur les bords. Quand on pense à une actrice belge, incontestablement Yolande Moreau nous vient à l'esprit. Même constat pour Benoît Poelvoorde, dans la catégorie masculine. Dès lors, comment manquer de se faire remarquer ? A la fois en Belgique, évidemment, mais aussi à l’étranger où il sera annoncé comme relais de la belgitude nationale : surréalisme et cie.
 Jaco (on ne peut toutefois s'abstenir d'avoir une affection pour le bonhomme, d'où cette familiarité) puise visuellement dans ses plus récentes œuvres : le spectacle de danse de mains Kiss and Cry (en attendant le futur Cold Blood ) qui certes reste une idée fantastique, mais la façon dont il use de ce filon avec un abus manifeste commence à mettre mal à l'aise. Et puis il y a ce thème qui est continuellement au centre du débat et qui annonce une fable subversive : la religion, allant même jusqu'à s'attaquer à un texte sacré. Ce n'est bien sûr pas le cas. On ne peut évidemment pas le reprocher à Van Dormael, en dépit qu'il soit certain que cela participe à ce regain d'intérêt. Reste qu'il est dommage avec un telle idée de n'en faire qu'un conte naïf et quelque peu gentillet, qui pose quelques questions philosophiques en caoutchouc aboutissant à des leçons pas révolutionnaires pour un sou et même plutôt d'un religiosité farouche. Outre ces considérations, les scénaristes n'ont pas réussi à dépasser, à sublimer ce synopsis : la fille de Dieu envoie les dates de décès de chacun et part sur Terre trouver six nouveaux apôtres. C'est sans surprise ce à quoi l'on assiste dans le film qui, malgré des vaines tentatives pour réanimer le spectateur via des effets originaux, reste une suite de six portraits mélancoliques, dont le regard qui leur est porté laisse parfois sceptique. François Damiens lui-même en perd son éclat habituel (dans les rôles tragiques comme comiques). Ce qui se rapproche en soi d'un exploit.

Restent en tête quelques images surprenantes (le dialogue avec la statuette de J.C. ou Catherine Deneuve vivant un renouveau avec un gorille) mais le bouleversement annoncé laisse davantage place à une monotonie stérile, aussi étonnant que cela puisse paraître, où seule l'hystérie et l'emportement de Benoît Poelvoorde – sous-utilisé à jamais – font encore sourire. Mécréant et destructeur, sans doute pas, mais simplement l'occasion pour Jaco van Dormael de retrouver, dans un prochain film, la flamboyance de ses débuts.


Mathias De Smet


Le tout nouveau testament
Belgique, 2015
Jaco van Dormael


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