Accéder au contenu principal

Le Grand Cirque


FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM FRANCOPHONE DE NAMUR


Antarès Bonassieu mène, depuis quelques mois, une équipe d'une dizaine d'hommes chargée de contrôler un point sensible dans les reliefs afghans. Cette cuve rocheuse que surplombent leurs différents postes de surveillance semble à la fois être un « nulle-part » et l'épicentre en tension du monde entier. Si personne n'y rentre, ni n'en sort, alors la mission est accomplie. Mais un champ de vision vierge n'est pas pour autant signe de victoire. L'ennemi n'est plus une condition sine qua non. Une fois le climat installé, les suspicions exacerbées, la guerre se développe par elle-même. Non pas sans l'homme, mais en l'homme. Sans combat, sa seule idée est destructrice. Quand les attaques ne sont pas des rafales de tirs, des explosions de mines ou des nuages de lacrymogènes, elles entament l'équilibre mental des belligérants. Elle se développe par parthénogenèse, elle s'auto-engendre,  mettant le combattant à l'épreuve avec lui-même, avec ses sentiments les plus enfuis.  Comment dès lors est-il possible d'affronter celui qui est face de soi sans être voilé par une autre chose, mystérieuse ? Dans ce non-sens général il est donc facile de faire fi de la réalité pour continuer à actionner les rouages, de céder, d'être en fait déjà mort.


« Ni le ciel, ni la terre ne les pleurera et jusqu'à la fin ils n'auront aucun répit. »
De ce verset découle l'idée principale du film : perdus et isolés dans les montagnes les plus hostiles de l'Afghanistan, des soldats français censés surveiller cette zone disparaissent mystérieusement un par un. Un jeune garçon, autochtone, leur explique qu'ils sont sur la Terre d'Allah et que s'ils s'y couchent, alors ils seront repris à jamais. Loin de tout, personne à l'extérieur ne se soucie de ce qui s'y passe. Quand un membre de la famille d'un élément disparu réussit contre le règlement à joindre le chef de groupe, celui-ci garde le secret sur le mystère qui les entoure. Tout est sous contrôle. Le seul dessein du Capitaine Bonassieu : continuer à se battre contre cet ennemi inconnu, impalpable pour retrouver coûte que coûte ses hommes. La totale attention dont ils devaient faire preuve est encore décuplée, la tension physique et émotionnelle multipliée ne leur laissant aucun sursis, aucune relâche. C'est alors la paranoïa (ils ne peuvent plus fermer l’œil) , la suspicion (ils accusent un membre de leur bataillon : William) et la peur (un membre décide de quitter les lieux) qui sont légion. L'intensité leur fait perdre leurs esprits et les fait, eux les pragmatiques, les combattants, céder aux seules explications (l'homme en a besoin) qui leur sont fournies. Le refus initial de croire à tout mysticisme va progressivement se transformer, basculer vers une immersion la plus absolue.


Nous sommes dans les conditions sensorielles, dans la violence psychique auxquelles sont exposés les soldats de quel camp qu'ils soient (les Français finissent en effet par s'allier aux talibans pour combattre cet ectoplasme qui reprend leurs amis). On passe de scènes très conventionnelles et pures sur une musique moyenâgeuse à d'autres, psychédéliques sur une musique électronique hallucinée. L’acmé de ces dernières étant l'instant de rédemption du déserteur dans une danse épileptique.
Autre idée remarquable du film, et elle apparaît dès l'affiche, est de filmer sans concessions, beaucoup de moments très tendus avec de véritables caméras à infrarouges et à détecteurs de chaleur semblables à celles de l'armée. Offrant presque une quatrième dimension au film, ces dispositifs font plonger dans l'angoisse de ces soldats car, en effet et contrairement à la légende, ce sont des appareils très rustres et très peu précis. Cogitore en profite pour filmer presque autant de séquences de jour que de nuit. Certes nous ne sommes pas dans le noir complet mais la situation n'en est pas pour autant beaucoup plus confortable.
 
Jérémie Renier en capitaine, très puissant et intense, Kevin Azaïs et Swann Arlaud réussissent à faire monter crescendo une tension et une frénésie presque fatale à l'issue. Fin qui s'annonce comme un échec de la mission, un abandon au monde et à sa cruauté. Finalement , rien ne se finira jamais bien. Un hélicoptère décolle et à son bord quatre catafalques lestés de viande de mouton. Que faire ?


Mathias De Smet


Ni le ciel, ni la terre
France, 2015
Clément Cogitore







Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Sommeil (d'hiver)

  Alors que l'issue de "Winter Sleep" est proche, l'un des personnages, passablement éméché, prononce cette phrase sentencieuse : "Est-ce la vie ou une mauvaise pièce ?" Ni l'un ni l'autre, juste un mauvais film, un long cauchemar blanc se déroulant dans cet hôtel d'Anatolie. La pesante vanité qui se dégage de l'ensemble est tout bonnement ahurissante, et insupportable. Jamais le temps au cinéma n'aura passé aussi lentement que pendant cette vaste et complaisante entreprise de pure destruction. Ne nous leurrons pas : malgré la virtuosité formelle de l'ensemble, la chenillette de Ceylan broie tout sur son passage. Elle ne pourrait fonctionner sans son autosatisfaction destructrice, son moteur, dispersant allègrement au cours de ces trois heures épuisantes ses infinies scènes de palabres vaguement surfaites, profondément alambiquées. Pire, non content de leur caractère irritant, Ceylan pousse le masochisme jusqu'à irrigue

La Réalité des Choses

FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM FRANCOPHONE DE NAMUR Stephan Streker n'est pas le premier et ne sera pas plus le dernier à céder à cette tendance dans le cinéma du « ventre-mou » (films qui ne sont ni des navets, ni franchement bons) : l'autodestruction. Tout comme Yan England, également au FIFF avec 1:54 , qui clôturait son film sur le harcèlement par un suicide habilement habillé d'héroïsme mais pas moins la manifestation du pessimisme ambiant, Streker, lui, gâche tout son travail de compréhension, de finesse et de nuance par un fratricide crapuleux. Sous le prétexte plutôt bancal de vouloir montrer « la réalité » des choses, ces deux réalisateurs en oublient qu'ils font des films et non des recueils de faits divers. Le monde nous immerge et nous coule déjà bien assez. Cette remarque d'un spectateur après la projection de 1:54 : « ce n'est pas une fiction, c'est la réalité, c'est ce qui se passe tous les jours ». Ce dernier s'

Le carnaval des animaux

   Une lutte à mort entre deux hommes dans l'habitacle d'une voiture inclinée au bord de l'eau, avec comme moyen d'en finir (au choix) un extincteur ou une ceinture de sécurité. Voilà qui est sans doute le moment le plus gênant, le plus crapuleux de "Relatos Salvajes", soit six sketches traitant tous à leur manière des plus bas instincts humains, quand l'animal qui sommeille prend le pas sur l'être de civilisation.    La scène survient lors du troisième segment, le pire (le meilleur diront les autres), et fait craindre une course à la surenchère vulgaire pour la suite. Même si les salauds continuent à se succéder au sein de ce dispositif discutable, on est tout heureux que Szifron lève un peu le pied. Si l'on voit très vite où ce dernier veut en venir, on s'interroge néanmoins sur l'intégrité de son modus operandi ; c'est que le répéter à six reprises crée une effet redoutablement pervers chez qui regarde, tiraillé entre