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Middle class, je t'assassine.



"Alors qu'elle découvre sa sexualité, Kat voit sa mère disparaitre", voilà l'infamie publicitaire par laquelle l'exploitant tente de vendre son film, l'annonçant comme un drame initiatique et sexué, un vendredi comme un autre à un cinéphile qui n'en a plus que le nom tant il a délaissé depuis trop longtemps les salles obscures (mes collègues ne sauront qu'acquiescer). Heureusement pour lui, le onzième film d'Araki, White Bird, ne tient pas dans l'aseptique centaine de mots sensée le résumer, voire même va à son encontre.

Certes, il y a rite initiatique, mais il n'est pas à chercher dans la sexualité, très peu présente par ailleurs. Cette jeune fille, Kat, passe à l'âge adulte non par l'enlacement des corps, mais plutôt par leur rupture. Par la rupture avec le "all same, all same" qui survient à la disparition de sa mère, et plus tard par la rupture dans les lieux et dans la relation amoureuse. Mais si les ruptures sont là, elles manquent de violence, White Bird, en préférant à la sauvagerie et à la liberté des instincts primaires une froideur psychanalytique grossière (du moins pendant les soixante premières minutes), se retrouve à tuer son suspens, alors que l'essentiel du film aurait dû s'y trouver. Ces rêves blancs d'une mère ensevelie, d'un matricide accidentel, qui renvoient la balle à des séances de psy théâtrales (même si cette théâtralité trouve tout son sens en cela que, métaphore de la banlieue parfaite, elle montre combien l'on se sent obligé quant aux conventions, et ce même dans des situations extrêmes et particulières) ne font que prévenir une histoire qui en devient attendue.     

Le film se désamorce dès lors en tant que thriller pour espérer se transformer en objet de réflexion. Mais ce n'est pas vraiment le cas : l'univers est connu, cette banlieue, ce train-train, ce regard de l'autre, cet enfer américain en un mot a été vu et revu, critiqué (par exemple par un American Beauty) sucé jusqu'à la moelle et rien de neuf ne peut plus réellement être fait à ce sujet sous la forme d'un simple constat des choses. Et ça, Araki l'a compris et nous offre, après des moments inutiles mais divertissants parce que habituels et esthétiquement jolis, la seule chose qui pouvait sauver une critique de ce milieu de la terne routine  des codes : une fin toute empreinte d'espoir, de violence et de révolte. Au début on a dû mal à l'espérer, évoluant entre le présent et un passé où la catin de mère incarnée par Eva Green ne vit pas sa vie, la névrose dans laquelle est enfermé tous ses désirs se sert de sa famille comme soupape, s'acharnant sur un mari trop mou et désespérément triste dans un monde que l'on ne connait que trop bien pour l'avoir refoulé sans cesse. Mais la castratrice disparait alors et ce père se libère, par cette disparition, la vie reprend et Kat grandit. Ce n'est donc qu'à la fin que l'élément central prend tout son sens, non pas en terme bêtement judiciaire ou factuel mais surtout en terme émancipateur, presque dans une révolte nietzschéenne, inespérée mais hélas attendue par le spectateur.  



Timothée Pichot






White Bird
États-Unis, 2014
Gregg Araki

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