Disons le tout de go : "Interstellar" n'est pas le "2001" du début de
notre siècle, et n'en a guère la prétention, ni l'ambition. Pourtant,
"Interstellar" n'en manque pas, d'ambition. C'est qu'elle est chez Nolan
d'un tout autre acabit ; produire une odyssée spatiale à la fois
intelligente et divertissante, brassant un public le plus large
possible, en totale rupture avec cette pure ampleur métaphysique qui
irradiait de "2001", ce quelque chose de tellement plus opaque,
inquiétant, transcendant et insondable, qui rétablissaient l'Homme dans
sa juste valeur au sein de l'univers, du cosmos : une infinitésimale
insignifiance, un dérisoire grain de poussière, inévitablement
ingurgités par des forces sourdes et invisibles, par ce Noir de l'Espace
bouillonnant dans son inextinguible quiétude.
Les chemins qu'empruntent Nolan sont autres, et "Interstellar" est certainement son film le plus rusé. Il évite ici l'écueil qui plombait en partie "Inception", soit cette sensation parasite que l'ambition était alors de réaliser son film "ultime", tout en esbroufe, chausse-trappes et multiplication des strates de rêves, produit hybride puisque pas tout à fait blockbuster classique, trop futé pour y prétendre et ce quitte à perdre bon nombre de spectateurs en cours de route. Exit dans "Interstellar" cette complexification à outrance, et place donc à un objectif avoué de plein et entier divertissement mené tambour ( et orgues, en l'occurrence ) battant, où seule compte une chose : tenir le spectateur en haleine de bout en bout en lui en mettant plein la vue, et au besoin, user de facilités scénaristiques grosses comme des astéroïdes afin d'y parvenir.
Elles sont légion dans "Interstellar", et maintiennent son rythme de croisière ( il y a peu de temps morts, et ils ne durent jamais très longtemps ). Ainsi le film dénote une malice nouvelle dans le chef de Christopher Nolan, car s'il cède parfois à la facilité, ce qu'il offre à voir en contrepartie forme un spectacle fascinant qui se regarde avec un plaisir non dissimulé pour ce genre d'entreprise à gros budget. Plus génial encore : "Interstellar" procure une jouissance que l'on n'avait plus ressentie depuis longtemps au cinéma et renoue généreusement avec les notions enfantines d'émerveillement, d' hébètement, d'abandon total devant un objet visuel pas exempt d'une solennité récurrente chez Nolan, qui plombe en partie sa volonté de monter toujours plus ; un regain de légèreté et "Interstellar" aurait pu côtoyer des cimes plus hautes encore, bien que le système fonctionne la plupart du temps à plein.
Film faussement mégalomane poursuivant en réalité un objectif bien moins grandiloquent que son argument ( trouver une autre planète habitable, la Terre, en proie à d' impressionnantes tempêtes de poussière ruinant ponctuellement les récoltes, étant condamnée à une lente et inéluctable déliquescence ), "Interstellar" ne souhaite rien de moins que retrouver une féérie ayant déserté depuis longtemps le divertissement haut de gamme et bien exécuté d' Hollywood, une légèreté opératique dépourvue d'ironie et de cynisme. "Gravity" avait indiqué la voie il y a presque un an jour pour jour, davantage centré sur l'intime et tendant volontairement vers un effet de claustration. "Interstellar creuse le sillon, assumant avec panache et avec une croyance absolue son statut de fresque.
Nolan ne perd pas pour autant ce sérieux qui caractérise ses films. Dommage : s'il y avait injecté un peu plus de dérèglement des sens ( chacun reste, in fine, relativement maître de soi-même, en dépit du lot de péripéties qui jalonnent le voyage ), de folie ( voir le visage de McConaughey juste avant le décollage, soudain possédé ), nul doute qu' "Interstellar" aurait encore gagné en qualité. Mais la foi portée à sa mise en scène, sa maîtrise du rythme et de l'intrigue, ses twists ravageurs bien qu'attendus parce que corollaires du genre et son ambition démesurée finissent par balayer les dernières réticences. Après un combat déséquilibré contre la relativité du temps et le devenir poussière ici-bas, "Interstellar" demeure un objet salvateur dans un paysage trop souvent dénué de cette naiveté dans les intentions, qu'il convient de saluer.
Antoine Van den Kerkhove
Interstellar
États-Unis, 2014
Christopher Nolan.
Les chemins qu'empruntent Nolan sont autres, et "Interstellar" est certainement son film le plus rusé. Il évite ici l'écueil qui plombait en partie "Inception", soit cette sensation parasite que l'ambition était alors de réaliser son film "ultime", tout en esbroufe, chausse-trappes et multiplication des strates de rêves, produit hybride puisque pas tout à fait blockbuster classique, trop futé pour y prétendre et ce quitte à perdre bon nombre de spectateurs en cours de route. Exit dans "Interstellar" cette complexification à outrance, et place donc à un objectif avoué de plein et entier divertissement mené tambour ( et orgues, en l'occurrence ) battant, où seule compte une chose : tenir le spectateur en haleine de bout en bout en lui en mettant plein la vue, et au besoin, user de facilités scénaristiques grosses comme des astéroïdes afin d'y parvenir.
Elles sont légion dans "Interstellar", et maintiennent son rythme de croisière ( il y a peu de temps morts, et ils ne durent jamais très longtemps ). Ainsi le film dénote une malice nouvelle dans le chef de Christopher Nolan, car s'il cède parfois à la facilité, ce qu'il offre à voir en contrepartie forme un spectacle fascinant qui se regarde avec un plaisir non dissimulé pour ce genre d'entreprise à gros budget. Plus génial encore : "Interstellar" procure une jouissance que l'on n'avait plus ressentie depuis longtemps au cinéma et renoue généreusement avec les notions enfantines d'émerveillement, d' hébètement, d'abandon total devant un objet visuel pas exempt d'une solennité récurrente chez Nolan, qui plombe en partie sa volonté de monter toujours plus ; un regain de légèreté et "Interstellar" aurait pu côtoyer des cimes plus hautes encore, bien que le système fonctionne la plupart du temps à plein.
Film faussement mégalomane poursuivant en réalité un objectif bien moins grandiloquent que son argument ( trouver une autre planète habitable, la Terre, en proie à d' impressionnantes tempêtes de poussière ruinant ponctuellement les récoltes, étant condamnée à une lente et inéluctable déliquescence ), "Interstellar" ne souhaite rien de moins que retrouver une féérie ayant déserté depuis longtemps le divertissement haut de gamme et bien exécuté d' Hollywood, une légèreté opératique dépourvue d'ironie et de cynisme. "Gravity" avait indiqué la voie il y a presque un an jour pour jour, davantage centré sur l'intime et tendant volontairement vers un effet de claustration. "Interstellar creuse le sillon, assumant avec panache et avec une croyance absolue son statut de fresque.
Nolan ne perd pas pour autant ce sérieux qui caractérise ses films. Dommage : s'il y avait injecté un peu plus de dérèglement des sens ( chacun reste, in fine, relativement maître de soi-même, en dépit du lot de péripéties qui jalonnent le voyage ), de folie ( voir le visage de McConaughey juste avant le décollage, soudain possédé ), nul doute qu' "Interstellar" aurait encore gagné en qualité. Mais la foi portée à sa mise en scène, sa maîtrise du rythme et de l'intrigue, ses twists ravageurs bien qu'attendus parce que corollaires du genre et son ambition démesurée finissent par balayer les dernières réticences. Après un combat déséquilibré contre la relativité du temps et le devenir poussière ici-bas, "Interstellar" demeure un objet salvateur dans un paysage trop souvent dénué de cette naiveté dans les intentions, qu'il convient de saluer.
Antoine Van den Kerkhove
Interstellar
États-Unis, 2014
Christopher Nolan.
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