FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM FRANCOPHONE DE NAMUR
Stephan Streker n'est pas le premier et
ne sera pas plus le dernier à céder à cette tendance dans le
cinéma du « ventre-mou » (films qui ne sont ni des
navets, ni franchement bons) : l'autodestruction. Tout comme Yan
England, également au FIFF avec 1:54,
qui clôturait son film sur le harcèlement par un suicide habilement
habillé d'héroïsme mais pas moins la manifestation du pessimisme
ambiant, Streker, lui, gâche tout son travail de compréhension, de
finesse et de nuance par un fratricide crapuleux. Sous le prétexte
plutôt bancal de vouloir montrer « la réalité » des
choses, ces deux réalisateurs en oublient qu'ils font des films et
non des recueils de faits divers. Le monde nous immerge et nous coule
déjà bien assez. Cette remarque d'un spectateur après la
projection de 1:54 : « ce n'est pas une fiction, c'est la réalité,
c'est ce qui se passe tous les jours ». Ce dernier s'en
réjouissait. Le cinéma
ne tient donc plus son rôle de porte de sortie. Il n'est plus une
lumière qu'il faudrait suivre mais il enferme au contraire dans
l'obscurité du quotidien. Ce cinéma pessimiste n'est plus politique
puisqu'il n'a tout simplement pas de projet. Il ne voit pas au-delà
mais se morfond pour peut-être lui aussi finir pas se donner la
mort.
Si
England avait bien du mal à se sortir de cette scène de suicide
qu'il montra après un quart d'heure et finissait par craquer dans
les derniers plans, Streker, lui, est un cas beaucoup plus extrême. Un film « librement inspiré de
faits réels ». Ici, on devine bien vite qu'il s'agit de la tristement célèbre
(en Belgique) affaire Sadia Sheikh :
dans une famille pakistanaise, un frère tue sa sœur sous la
pression parentale car elle s'apprête à déshonorer la famille en
refusant son mariage forcé. Sadia se transforme en Zahira dans Noces
mais c'est le seul élément qui
justifie le « librement adapté » en exergue. Au
contraire, la majorité du film est surprenante, puisque Steker y
déploie une analyse tendant à la compréhension de toutes les
parties. En sociologue-cinéaste, il
expose et explore différents niveaux de déterminismes. Chaque
personnage est dans un certain état de soumission, allant
graduellement de Aurore, l'amie non-musulmane de Zahira, à la mère
qui ne peut imaginer que sa fille ne se marie pas. C'est la tradition qui est ici le vecteur de
déterminisme comme ce pourrait être la fortune, la classe sociale
ou le niveau de formation. Alors les positions muteraient.
Chacun défend sa
position et veut convaincre l'autre d'y adhérer. Ainsi quand la sœur
de Zahira dit qu'il faut « accepter sa position quand on ne
peut changer les choses », elle défend sa propre position de
femme mariée de force.
Stephan Streker a
si peur d'assumer cette analyse,
qu'il se sent obligé de mettre en place ce qui, rétrospectivement,
s'apparente fort à un « petit programme ». Il assure
même un minimum malsain de suspens (on connaît la fin Stephan !) en
prenant le spectateur à la gorge. Il tue donc Zahira froidement,
comme dans la « réalité des choses » et assassine ainsi
en même temps un film observateur et impartial. S'en suit le
traditionnel « générique silencieux » (déjà trois en
trois jours au FIFF) pour bien marquer que rien n'est possible.
Si
Streker se rêve en Kechiche belge, son geste final l'affilie hélas
davantage aux mécaniques hanekiennes. Ses apparitions, comme celles de Yan
England, en tant que personnage public ne nous laissent, il est vrai,
aucun doute sur l'honnêteté de leurs intentions. Cependant, comme
Serge Daney qui préférait un film génial de Mizogushi (bien que le
réalisateur soit politiquement à côté de la plaque) à un mauvais
du camarade Pontecorvo, nous préférons l'espoir de College
Boy (A-O Pilon en Sauveur) ou de
La Vie d'Adèle au
pessimisme et à l'obscurité de 1:54 et
Noces.
1:54
Canada, 2016
Yan England
&
Noces
Belgique, 2016
Stephan Streker
Sans oublier l'apparition, devenue gênante, dans Noces, du happener permanent du cinéma belge |
Je suis en parfait désaccord avec vous! Ces films auraient pu vous ouvrir les yeux et vous sensibiliser (vous humaniser) au conséquences du si grand respect de la vie privée permettant les plus grands préjudices surtout à l'égard des enfants et adolescents (sans aucun pouvoir socio-politique)et de l'incapacité moderne de s'indigner. Vous devez préférer les films américain: distraction, divertissement, tête dans le sable et happy end...
RépondreSupprimerS. Lemire,
RépondreSupprimerSi vous le permettez, je crois que vous avez fait une lecture erronée de ce texte. Je ne nie pas que le sujet du harcèlement (car si je ne m'abuse vous parlez surtout de 1:54) mérite un film et que c'est un problème social important. En revanche, j'estime que la "sensibilisation", c'est-à-dire, le débordement de sentiment, ne suffit pas pour aborder un tel sujet. Si le programme de Yan Englang se limite à nous rappeler que le harcèlement existe, c'est bien pauvre pour un film. J'attends au contraire que le film creuse la motivation du harceleur, et hypothétise sur l'action du harcelé. C'est tout sauf ce que fait le réalisateur qui lui est "la tête dans le sable". Il n'apporte rien au débat sur le harcèlement mais comme il a fait son petit film, sa conscience est tranquille. Des histoires plombantes pour le spectateur, comme celle de 1:54, des constats amers, il y en a tous les mois au journal télévisé.
A propos de Noces, si vous l'avez vu, vous avez comme moi compris ce que Steker nous dit : j'ai essayé de comprendre les motivations de chacun mais finalement, rien de ça ne compte car le frère, musulman, n'est définitivement pas compatible avec les mœurs occidentaux. Encore de l'amertume et de l'inutilité politique.
J'espère que c'est plus clair.
Merci d'avoir lu cet article et n'hésitez pas à en lire d'autres pour constater que nous ne sommes pas forcément les adeptes de la "distraction" que vous imaginez.