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S'raing, pas Seraing



FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM FRANCOPHONE DE NAMUR



Jean-Pierre & Luc Zavatta



"Et une comédie, les Dardenne, vous n'y avez jamais pensé ?" Cette phrase, prononcée par Jean-Pierre à l'occasion de la soirée d'anniversaire de Wallimage, est éloquente par son ton : celui de la rigolade. Mais il y a plus éloquent encore : juste derrière, la réaction de Luc, qui lui rigole vraiment. Le moment est assez gênant, et tout y est résumé : d'abord l'incapacité délirante de deux cinéastes à remettre leur système étriqué en question (les frères en sont réellement incapables, le rire en atteste, il sert de bouclier), ensuite un manque criant de lucidité (leur première comédie, c'est La Fille inconnue, ce que pas grand monde a compris). C'est que les Dardenne nous resservent leur petite mécanique pépère, tranquillement désincarnée. Pour des cinéastes réputés humanistes, à l'écoute de leurs personnages et de leurs tracas quotidiens, c'est fâcheux, non ?


Adèle Haenel (qui fait son possible pour se dépatouiller du système dardennien, annulant la moindre intention, invention de jeu) incarne ici un médecin généraliste, vaillant petit soldat qui a eu un soir le malheur de ne pas ouvrir la porte de son cabinet plus d'une heure après la fermeture. Conséquence désagréable : une jeune fille noire a été retrouvée le lendemain, à proximité dudit cabinet. Rongée par la culpabilité (enfin ça ne se voit pas trop quand même, il s'agit là surtout d'un artifice de scénario destiné à mettre en branle ce qui va suivre - sur le même thème, revoyez plutôt Julieta) le bon Dr Davin entame alors son enquête en forme de Cluedo dilettante, parallèlement à celle que mène la police.


A part ça, c'est très calme, on s'enfonce lentement dans une douce torpeur, tant les bro's répètent consciencieusement leurs gammes. Seules les sonneries stridentes de l'interphone réveillent de temps en temps le spectateur, et au bout d'un moment, on peut même jouer à deviner quand retentira la suivante. Pas de mise en scène, mais beaucoup d'écriture : les habitués Gourmet, Rénier, Cornil et Rongione défilent en déclamant scolairement leurs trois répliques ; ils viennent faire coucou. Personne n'est jamais vraiment regardé, et pour un film prenant place à S'raing (pas Seraing), les habitants ont curieusement un accent très neutre, malgré qu'ils préparent aussi de délicieuses gaufres de Liège maison.


On rit donc beaucoup devant La Fille inconnue, d'un rire embarrassé devant les moments purement lunaires que produit le film, avec les aveux finaux de Jérémie Rénier comme pompon absolu de comique involontaire. La résolution de l'enquête n'a aucune importance, croyez-nous. On ne saurait que trop conseiller aux Dardenne de reconsidérer avec le plus grand sérieux l'idée de se lancer dans le grand bain de la comédie (avec Bruno Dumont en guise de modèle, lui et son burlesque neuf et halluciné, lui et ses comédiens du cru non-professionnels). Des cinéastes qui refusent de se renouveler sont des cinéastes morts ; le cinéma des frères se meurt doucement d'asphyxie.


Antoine Van den Kerkhove





Le Fille Inconnue,
Belgique, 2016
Luc et Jean-Pierre Dardenne




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