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Éditorial



Cemetery of Splendour d'Apichatpong Weerasetakhul.



Il y avait moult étoiles sur la Croisette en cette quinzaine de mai. Le cinéma en a-t-il pâtit, souffert ? Peut-être. Aujourd'hui c'est une évidence, les palmarès, les années, se suivent et se ressemblent. Jacques Audiard, lauréat cette fois n'a pas omis de bien nous le signifier en évoquant son maître : Michael Haneke. Cannes a pris un tournant depuis quelques éditions. Si il ne récompense que rarement des films poétiques, beaux et jouissifs pour les spectateurs, il est à noter que cette année, ceux-là n'ont même plus leur place en compétition. Tournant donc « officiellement » radical. Tant qu'il est difficile de le comprendre. Apitchatpong, Garrel, Gomès relégués aux sélections mineures ; inutile d'être critique spécialisé ou grand spécialiste pour être étonné des choix de ce cher directeur. Espérons alors que ces grands noms soient mis au placard de l'exposition (la sélection officielle assure une diffusion que ne promet pas la Semaine de la Critique) pour faire place à de nouveaux talents en devenir. Le Festival a en effet cette caractéristique de soutenir sesjeunes réalisateurs : entreprise parfois bénéfique, parfois perverse. Au lieu de cela ce sont Garonne, Sorrentino, Audiard ou même Maïwenn qui sont choisis pour usurper la rangée dix du Palais. Les quatre déjà salués par Cannes de sous-Palmes, ils revenaient cette fois chercher leur du. Et c'est chose faite pour la moitié du quatuor. Les deux Italiens seront sans doute très injustement couverts dans les 
quelques prochaines éditions. Quelle bien terrifiante prévisibilité.

Les Mille et Une Nuits de Miguel Gomès



Des trois archétypes cannois récompensés, Amour en 2012, Winter Sleep en 2014 et Deephan nous pouvons désormais établir le profil du prochain lauréat. Un peu de perversité, de misérabilisme, de méprise, de prévisibilité tout cela emballé d'une belle couche de plan-séquences insupportables pour revendiquer haut et fort son statut d'auteur. Michel Franco s'en chargera avec un plaisir non feint, le temps de tourner un nouveau film de salauds (le problème c'est qu'aujourd'hui ils sont sincères nous dit le vieux sage rollien). Quel est le projet de ces films si ce n'est faire souffrir le spectateur par des manipulations sordides. Le public est-il masochiste ? Pas particulièrement mais animé par l'espoir, il subit années après années les douleurs que veut lui infliger le Festival.
Même le jury s'est fait avoir, et pas qu'un peu. Et pourtant on pouvait s'attendre à autre chose de la plupart de ses membres. Comment les réalisateurs de Barton Fink et Inside Llewyn Davis, comment le réalisateur de Mommy et Laurence Anyways, comment l'actrice fétiche d'Almodovar et celle qui a joué dans l'un des meilleurs films de l'édition précédente, Foxcatcher, ont-ils pu mettre au monde, ébahi, ce palmarès qui vraiment ne laisse aucun espoir.

La page tournée, il nous reste à espérer que les grands films de cette 68ème édition parviennent à toutes nos petites salles de province, à tous nos ciné-clubs car c'est cela l'enjeu des grands rendez-vous mondiaux : faire vivre et donner la visibilité due à ceux qui le méritent, à ceux qui méritent les spectateurs, qui les aiment.
Il eut sans doute mieux valu, comme le prédisait ce bon Gilles Jacob, que cette année, le Festival n'ait pas lieu pour qu'enfin il renaisse et redevienne comme en 52, en 60, en 87 ou en 2010 : la fête du Cinéma.

Nous garderons plutôt cette édition en tête, en mémoire, comme un hommage un peu précoce à la disparition de Jean Guault, parti le 8 juin, quelques jours après la clôture, grâce au film de Valérie Donzelli, Marguerite et Julien, scénario jadis promis à François Truffaut qui n'en fit que pouic. Voilà un vrai conteur qui s'en est allé, qui par une diction, un rythme, un regard, une situation, un amour impossible ou bien plutôt inespéré nous transportait du sourire à la nostalgie, au souvenir, à l'émoi, avec toujours intelligence, surprise et bienveillance.






Jean Gruault
Jeanne Moreau dans Jules et Jim











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