Que pouvait bien donner la rencontre entre une cinéaste déclinant de film en film et la plus géniale des actrices françaises ? Réponse : un Huppert Movie. C'est que, depuis le très beau Tout est pardonné (2007), la mise en scène précise et délicate de Mia Hansen-Love, touchant au plus profond des êtres après l'épreuve de la séparation (tantôt la rupture amoureuse dans Un amour de jeunesse, tantôt la mort - Tout est pardonné et Le Père de mes enfants) s'étiolait à chaque nouveau film. En 2009, Le Père de mes enfants menaçait constamment de sombrer dans l'entre-soi, malgré un didactisme plaisant quant à sa description du fonctionnement au quotidien d'une boîte de production. Hommage de la cinéaste à son producteur suicidé, Humbert Balsan, le film se sauvait de justesse de l'ornière d'un certain parisianisme, avant qu'une figure virginale (Alice de Lencquesaing, comme avant elle Constance Rousseau, et par la suite Lola Créton) jusque là ignorée se révèle être son véritable centre, autour duquel pouvaient à nouveau s'écouler la vie, et surtout l'amour. Trois ans plus tard (ce pourrait être l'un des nombreux cartons peuplant les films d'Hansen-Løve), Un Amour de jeunesse convainquait encore moins : trop joli, trop apprêté avec son couple d'acteurs trop parfait, trop fabriqué peut-être avec son scénario trop sensible (ils se sont aimés follement, il l'a quittée, là voilà mariée à un autre quelques années après, ils se retrouvent) ; le film est certes beau, mais on peine à être touché au cœur comme y parvenait magistralement le premier film, où la question de l'héritage, de comment cohabiter à présent avec le fantôme de ce père à peine connu et disparu aussitôt, s'ouvrait tout autrement à l'universalité des âmes. Ces trois premiers films (qui sont autant de romans d'apprentissage) ont beau former une trilogie plus ou moins informelle, être liés intimement, il n'empêche que les disparités entre eux sont criantes.
Une universalité de facto aussi géographique : on aborde ici ce qui constitue possiblement la principale tare du cinéma de Mia Hansen-Løve ; Paris. Si la cinéaste sait indéniablement filmer sa ville, là où tous ses films se déroulent (si tous voyagent effectivement - Autriche, Italie, Danemark... - ses personnages ne rêvent pourtant que d'une chose : y revenir le plus vite possible, n'en pouvant plus déjà de leur nostalgie de la capitale ; comme Hansen-Love ils aiment Paris et ne la quitteraient pour rien au monde), il en résulte assez logiquement un état d'esprit très parisien, qui pourrait rebuter les "provinciaux" (en caricaturant), et qui trouve son accomplissement dans L'Avenir. Nathalie (Isabelle Huppert) et Heinz (André Marcon), tous deux brillants professeurs de philosophie, y divorcent après que le second ait trouvé l'amour dans d'autres bras que ceux de son épouse. Nathalie n'aurait pu l'imaginer, elle qui croyait qu'Heinz l'aimerait toute sa vie ("Quelle conne !"), et qui doit en plus traiter avec sa mère, de plus en plus à l'ouest (Edith Scob, très drôle). Au désarroi causé par la séparation (motif décidément indissociable de la filmographie d'Hansen-Løve) puis par la mort de la mère succède la conscience du temps venu de l'introspection, et non pas d'une liberté nouvelle qui ouvrirait la voie à tous les possibles et à un radical changement de vie ; on rejoint ici le parisianisme doucement larvé de ce cinéma. Nathalie reste une bourgeoise, et pas question de partir à l'aventure (il faut la voir mal à l'aise face à l'un de ses anciens élèves devenu trentenaire, activiste de gauche la confrontant à l'inadéquation entre son "mode de vie bourgeois" et le discours qu'elle tient à sa classe, ainsi qu'à lui-même). Ce n'est pas parce que Heinz est parti qu'il faut pour autant délaisser le confort acquis avec lui. Malheureusement, l'introspection reste bien soft et tourne court ; les scènes s'égrènent et on a le sentiment qu'au fond, pas grand-chose n'a bougé dans l'existence de Nathalie, si ce n'est la rancoeur désormais éprouvée envers Heinz. On suit sans déplaisir les micro-évènements de cette seconde partie d'existence (dont deux brefs séjours dans le Vercors, là encore vu en tant que pur ailleurs), mais quelques jours après la projection, on se souvient nettement d'une poignée de scènes à peine ; pour le reste, L'Avenir apparaît comme un joli film, sans plus. Sage comme une image, et qui le serait davantage s'il n'y avait UNE et une seule actrice sur laquelle se reposer. Magnifique et de tous les plans, elle injecte dans cet Avenir, et plus largement dans le cinéma parfois trop sûr de ses charmes de la cinéaste, une légèreté vivifiante. Capable de tout dans ce qui relève du meilleur, Isabelle Huppert (totalement accanto du personnage, ainsi que s'échinait en vain à l'expliquer Margherita dans Mia Madre) jure comme personne (son seul "Putain!" du film est exquis), dit "Salut !" comme personne (elle répéterait cela en boucle pendant des heures, comme ces infernales vidéo YouTube, qu'on ne s'en lasserait pas), court comme personne (excepté un concurrent de poids en catégorie masculine : Tom Cruise), éconduit les candidats amants comme personne ("J'ai pas envie !") et marche joyeusement comme personne sur les plages de Bretagne ou de Corée chez Hong Sang-Soo, en sachant que la liste est non-exhaustive.
L'Avenir est-il le
film de l'âge de raison, comme on a pu le lire ici ou là ? Une fois
n'est pas coutume, l'expression n'apparaît pas galvaudée : le simple
choix d'Isabelle Huppert, actrice archi-connue et sexagénaire, semble
fournir un premier élément de réponse au cas MHL, habituée à révéler de
futurs acteurs de talent. Raison rimant ici avec remise en question : la
cinéaste signe un film étonnamment drôle (les répliques d'Huppert
valent à elles-seules le déplacement), doucement ironique lorsqu'il
dépeint les travers de son (ex-)couple de philosophes petit-bourgeois
("Il a emporté tous mes Lévinas ! Ceux annotés, en plus !") ou montre
Huppert s'extasiant devant des ânes, l'humour venant finalement
compenser la lâcheté politique des personnages (Marcon droitier
vieux-jeu, Huppert ancienne militante communiste rentrée dans le rang).
Plus qu'un film de Mia Hansen-Løve, L'Avenir est définitivement un film avec Isabelle Huppert, où c'est une cinéaste plutôt qu'une professeur de philo que l'on voit douter, ce qui est plus beau encore.
Antoine Van den Kerkhove
L'Avenir
France, Allemagne, 2016
Mia Hansen-Løve
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