«Tout galérien qu'on était on s'est mis à bien rigoler, en voyant ça, droit devant nous...
Figurez-vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New York c'est une ville debout. »
Tout commence par un élégant mouvement ascensionnel de la brume du fleuve au nuage des gaz d'échappement. This is NYC. Todd Haynes semble avoir retrouvé, dans sa vidéothèque sirko-wellesienne, la recette perdue. Du brouillard qui enveloppe la ville debout, s'échappent parfois le sommet d'un gratte-ciel ou bien une série d'automobiles parfaitement cirées. Le fantasme de la ville s’apprête à être malmené. Car la ville abstrait. Mais le film de Haynes s'engage, lui, à retrouver les individus dans un quotidien dans tout ce qu'il a d'exceptionnel. Il va accompagner deux personnes, deux femmes, vouées d'ordinaire seulement à des regards polis, des mots vides, puis à l'oubli. Elles vont, au hasard du rayon jouets d'un grand magasin, esclaves de ce quelque chose d'inexpliqué, faire converger leurs chemins, c'est-à-dire : se rencontrer. Haynes veut retrouver une ville longitudinale ! Mais cette dernière s'y oppose. La seule solution alors pour ces deux corps qui se sont figés face à face sera, hélas, l'exil.
On comprend aussi à travers quelques passages somptueux, limite psychédéliques (la scène
du tunnel où le reflet et la superposition d'images) que cet exil s'est fait aux frontières de l'hallucination mystique. Est-ce vraiment possible ?
Des deux, Therese, la photographe, est la plus libre.
Elle n'a de compte à rendre à personne alors que Carol, malgré son
désir, ne peut pas totalement se consacrer à l'amour. Elle a une fille,
dont l'avenir à ses côtés serait compromis. Ensuite un mari qui la tient entre ses mains badaudes, tout homme d'affaire qu'il est. Carol ne peut pas se permettre
cet abandon.
Alors que Carol est la femme des années 50 , malgré sa
progressive émancipation, Therese, elle, est déjà en plein dans
les années 70.
Le film crée finalement un monde, accompagnant ses deux personnages, en
y mettant la force nécessaire.
C'est ainsi que Carol construit toute son immensité.
Le 16 mm et son grain délicieux radiographient la chaleur des
corps dans l'hostilité, et des sentiments contraint d'abord et finalement, et enfin, libérés.
Mathias De Smet
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