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Les Histoires d'Amour.



«Tout galérien qu'on était on s'est mis à bien rigoler, en voyant ça, droit devant nous...
Figurez-vous qu’elle était debout leur ville, absolument droite. New York c'est une ville debout. »




Tout commence par un élégant mouvement ascensionnel de la brume du fleuve au nuage des gaz d'échappement. This is NYC. Todd Haynes semble avoir retrouvé, dans sa vidéothèque sirko-wellesienne, la recette perdue. Du brouillard qui enveloppe la ville debout, s'échappent parfois le sommet d'un gratte-ciel ou bien une série d'automobiles parfaitement cirées. Le fantasme de la ville s’apprête à être malmené. Car la ville abstrait. Mais le film de Haynes s'engage, lui, à retrouver les individus dans un quotidien dans tout ce qu'il a d'exceptionnel.  Il va accompagner deux personnes, deux femmes, vouées d'ordinaire seulement à des regards polis, des mots vides, puis à l'oubli. Elles vont, au hasard du rayon jouets d'un grand magasin, esclaves de ce quelque chose d'inexpliqué, faire converger leurs chemins, c'est-à-dire : se rencontrer. Haynes veut retrouver une ville longitudinale ! Mais cette dernière s'y oppose. La seule solution alors pour ces deux corps qui se sont figés face à face sera, hélas, l'exil.


Pour explorer une époque (ce que fait Haynes film après film, ici d'après Patricia Highsmith), le cinéaste choisit l'histoire d'amour impossible. Impossibilité révélatrice semble-t-il dire. L'époque y est pour quelque chose. 
Ici, il s'attache à conter une histoire dans sa phase la plus excessive et fiévreuse, en expansion dans l'espace. La ville semble trop petite. Très vite il faudra s'en isoler pour peut-être faire advenir une entité nouvelle, une ville nouvelle.

La métamorphose est une débauche d'énergie considérable. Il y a création d'un troisième être conceptuel, le couple nouveau dans une ordre social qui y est fondamentalement réfractaire. Le couple comme organe ne peut se greffer à la ville. La force que sollicite cette transformation est au centre de l'union de Therese et Carol. Le premier regard (qui n'est pas sans rappeler le « passage pour piéton » de La Vie d'Adèle) au rayon jouets, est bouleversant. On entrevoit déjà les épreuves à venir. Mais l'histoire est trop belle pour Carol qui engage le combat. Le film ira ainsi d'un souffle à l'autre, parfois coupé, parfois libérateur alors que nos personnages font un pas en avant, petit mais certain.

Très vite, le premier glissement dans la vie de Carol annonce déjà pour elle l'impossibilité de faire face à ce bouleversement, On lui suppose une vie plutôt monotone. Comme Therese, les premières suspicions de leurs conjoints respectifs, les premières frictions et la répulsion que lui inspire son mari, vont la pousser à s'isoler, déjà, et à prendre le large, pour se retrouver seules. 
Cette esquisse lune de miel sera l'occasion pour Haynes de signifier ce que peut être vraiment la liberté pour ces personnages : une décharge phénoménale et phénoménale.



On comprend aussi à travers quelques passages somptueux, limite psychédéliques (la scène du tunnel où le reflet et la superposition d'images) que cet exil s'est fait aux frontières de l'hallucination mystique. Est-ce vraiment possible ?

Des deux, Therese, la photographe, est la plus libre. Elle n'a de compte à rendre à personne alors que Carol, malgré son désir, ne peut pas totalement se consacrer à l'amour. Elle a une fille, dont l'avenir à ses côtés serait compromis. Ensuite un mari qui la tient entre ses mains badaudes, tout homme d'affaire qu'il est. Carol ne peut pas se permettre cet abandon.
Alors que Carol est la femme des années 50 , malgré sa progressive émancipation, Therese, elle, est déjà en plein dans les années 70. 

 

Le film crée finalement un monde, accompagnant ses deux personnages, en y mettant la force nécessaire.
C'est ainsi que Carol construit toute son immensité. 

Le 16 mm et son grain délicieux radiographient la chaleur des corps dans l'hostilité, et des sentiments contraint d'abord et finalement, et enfin, libérés.



Mathias De Smet







Carol

États-Unis, 2016

Todd Haynes





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